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Sri Lanka

Sri Lanka : Entretien avec Jean-Pierre Leclerc

Jean-Pierre Leclerc, ingénieur et docteur en génie des procédés (spécialisation eau et environnement), est Directeur adjoint du laboratoire des sciences du génie chimique au CNRS. Ce spécialiste du problème de l'eau est aussi un volontaire, qui a effectué de nombreuses missions d'expertise pour SOLIDARITES en Afghanistan et au Rwanda. Après le raz-de-marée qui a frappé l'Asie du sud-est le 26 décembre dernier (et alors qu'il avait prévu d'être en vacances à Phuket en Thaïlande à cette époque !), Jean-Pierre s'est immédiatement rendu disponible pour partir avec notre équipe d'urgence au Sri Lanka. A son retour, il a livré ses impressions et son analyse à Alain Boinet, Directeur de SOLIDARITES :
- AB: Jean-Pierre, peux-tu nous décrire la situation humanitaire que tu as découverte en arrivant, comment le problème de l'accès à l'eau se pose, et ce que nous avons fait pour y répondre ?

JPL: Il y a deux points qui m'ont particulièrement impressionné : premièrement la violence des destructions sur toute la bande côtière (j'ai vu le sol de certaines maisons pulvérisé par la vague du Tsunami), plus frappante que toutes les images qu'on a pu voir, et deuxièmement le traumatisme psychologique du raz-de-marée sur la population, qui a tout perdu. Pour les besoins, l'ensemble des puits est à ce jour totalement inutilisable (près de 18.000 puits pollués par l'eau de mer sur la zone d'Ampara), or c'était souvent la seule source d'eau potable pour les populations, donc on se retrouve avec un nombre impressionnant de personnes déplacées et regroupées sur des sites de fortune, ou revenues dans leurs villages détruits, qui n'ont plus d'accès à l'eau potable. A partir de là il y a deux solutions : soit on approvisionne en eau potable les populations grâce à des camions-citerne et des stations de potabilisation, soit, quand les sites et les villages sont situés assez proche des villes, on met en place des connexions avec les réseaux de distribution urbains. SOLIDARITES a prévu de réaliser près de 500 connexions en liaison avec les autorités locales. Comme les destructions sont localisées uniquement sur toute la partie terminale des réseaux près du bord de mer, il n'y a pas de grosses difficultés techniques, et nous mettrons en place des connexions avec compteurs, afin de pérenniser d'un point de vue économique ces connexions pour l'avenir.

- AB: peux-tu nous expliquer le problème qui se pose au niveau de la nappe phréatique des puits ?

JPL: Les premiers tests que nous avons menés indiquent que la pollution à l'eau de mer des puits a été causée par la vague du raz-de marée qui a submergé et recouvert les puits. Cette situation, malheureusement, risque de durer assez longtemps : entre 6 mois et 2 ans, et pour l'instant il est absolument impossible de nettoyer ces puits. D'o=F9 l'importance d'avoir su mettre en place rapidement, et de maintenir, des solutions d'approvisionnement alternatives (camions-citerne et connexions aux réseaux urbains). De leur côté, les gens ne touchent pas du tout à l'eau des puits, s'entraident beaucoup entre eux pour se partager l'eau potable, et économisent au maximum leur consommation. Donc la situation sanitaire est relativement satisfaisante, même dans ces zones.

- AB: Concrètement, le fait que sur la région d'Ampara l'ensemble des puits soit inutilisable, signifie que nous devons donc maintenir et développer ces moyens d'approvisionnement alternatifs sur une longue durée ?

- JPL: Malheureusement, oui. L'ensemble des ONG doit se mobiliser pour mettre en place et surtout développer, comme tu dis, ces solutions alternatives, sur un horizon de 6 mois à 2 ans. A titre d'exemple, il devient très difficile, aujourd'hui au Sri Lanka, de trouver des camions-citerne disponibles, tellement ils sont recherchés !

- AB: A partir du moment o=F9 les gens, et c'est déjà le cas à certains endroits, ne seront plus regroupés sur des sites, mais vont commencer à regagner leurs villages et habitations dispersées pour reconstruire, comment va-t'on faire pour maintenir les solutions d'approvisionnement en eau ?

JPL: Aujourd'hui, c'est vrai que les gens dorment la nuit sur les sites d'accueil, mais reviennent le jour chez eux pour reconstruire très rapidement. Quand les villages sont à proximité de centres urbains, c'est la solution de la connexion aux réseaux qui sera la meilleure. En revanche, pour les petits villages isolés, type villages de pêcheurs, il faudra trouver le moyen d'assurer des ravitaillements réguliers par camions-citerne, sachant que de nombreuses routes ont été endommagées et que l'accès sera long, difficile et coûteux. Les conséquences pour la vie de ces villages se feront sentir pendant encore des années.

- AB: Concernant les besoins en assainissement, quelle est la situation et notre réponse ?

JPL: Toutes les fosses sceptiques ont été submergées et détruites sur la zone frappée par le raz-de-marée, et nous avons une activité très importante en vidangeant ces fosses, et en en construisant de nouvelles sur les sites et villages.

-AB: Et au niveau de l'agriculture ?

JPL: Alors là, heureusement, il n'y a pratiquement pas de dégâts ni de gros besoins, dans la mesure o=F9 les zones de culture sont suffisamment éloignées des côtes pour ne pas avoir été touchées. Après, on peut envisager des actions, mais celles-ci relèvent de besoins en développement, mais pas de l'urgence ou de la post-urgence.

-AB: A plus long terme, quelles sont les étapes de notre action ?

JPL: Parallèlement au maintien des solutions en approvisionnement en eau que nous avons évoquées, il va falloir rapidement identifier les " poches oubliées " d'extrême urgence comme les villages de pêcheurs extrêmement isolés, qui n'ont pas encore reçu d'assistance, et o=F9 les ressources alimentaires par exemple peuvent manquer. Ensuite, une aide à la reconstruction des maisons que les gens veulent entreprendre rapidement doit être envisagée, par exemple sous forme de programme de nettoyage / collecte de débris, et de fourniture de matériel.

- AB: Pour élargir la réflexion, alors que le problème de l'accès aux ressources en eau devient une urgence mondiale, quel est ton sentiment sur l'expertise et la capacité technique des ONG à répondre, localement et concrètement, à un problème global ?

JPL: Pour moi, et d'après mon expérience, le problème est très simple : face à toutes ces situations que l'on rencontre, o=F9 les gens n'ont pas accès à l'eau, ou à une eau strictement imbuvable selon nos standards, il n'y a pas de difficultés techniques. La seule question est celle des moyens financiers, de l'argent. Avec ces moyens financiers, les ONG ont l'expertise et la capacité à transférer là o=F9 c'est nécessaire le matériel et le savoir-faire propre à apporter l'eau potable aux populations.

-AB: Oui, mais la solution relève aussi, à un autre niveau, de la capacité des états à mettre en place des infrastructures et des administrations de gestions de l'eau ?

JPL: Oui, c'est vrai, mais là encore, à un moment, on en revient à un problème de moyens financiers. Si je prends l'exemple de ce que SOLIDARITES a réalisé en terme de réseaux d'adduction d'eau à Kaboul en Afghanistan, et qui est du niveau d'un opérateur industriel spécialisé, nous avons été amené à prendre en charge ces programmes lourds parce que les autorités n'en avaient pas les moyens.