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Iraq

Irak, 5 ans après : une situation sanitaire dramatique et des millions de refugiés en errance

La Communauté internationale et l'Union européenne continuent de se dérober à leurs obligations

La guerre en Irak dure depuis cinq ans et a plongé le pays dans une situation de crise humanitaire marquée par une dégradation des services de base, notamment sur le plan de la santé, une diminution des moyens de subsistance, une inflation galopante et un appauvrissement considérable. La communauté internationale n'a reconnu que tardivement, en 2007, cette crise humanitaire. La situation reste aujourd'hui toujours extrêmement préoccupante, avec une violence qui persiste et une insécurité qui affecte tout particulièrement les gouvernorats du centre-nord, à Ninewa, Kirkuk et Diyala, après l'établissement du plan de sécurité à Bagdad en juillet 2007.

A., Kurde irakien de 24 ans, rencontré en août 2007, par la mission mobile de MdM dans le Pas-de-Calais.

Le médecin de Médecins du Monde le reçoit pour des plaies sur la main gauche. Pendant la consultation il nous explique qu'à chaque fois qu'il échoue à un passage, il se taille la main avec un couteau. Cela fait déjà un mois qu'il tente de rejoindre l'Angleterre et qu'il n'y arrive pas, alors qu'il ne lui a fallu qu'un mois pour effectuer le voyage du Kurdistan irakien aux côtes Nord de la France. Il a de plus en plus de difficultés à supporter l'idée qu'il pourrait échouer si près du but. En se taillant la main, il cherche à se redonner du courage. La veille, il a essayé de passer, mais une fois de plus la police l'a interpellé au moment où il montait dans un camion. La police l'a relâché dans une friche industrielle, loin de tout, à 1h00 du matin. Il lui a fallu quatre heures de marche pour rejoindre son camp. Diplômé d'anglais, il était professeur dans un lycée. Il a servi d'interprète aux Américains présents dans sa région. Lorsqu'ils sont partis, il s'est retrouvé à la merci des opposants à la présence américaine en Irak. Il a en sa possession un document qui prouve que sa vie était menacée. Il espère que ce document lui permettra d'obtenir l'asile en Angleterre. Par la suite, il souhaite retourner à l'université, trouver un travail et peut-être revenir en Irak afin d'aider son pays à sortir du chaos dans lequel il est plongé.

A/ La situation sanitaire à l'intérieur du pays

- Une crise humanitaire dont les principales victimes restent les civils :

- Plus de 8 millions de personnes, soit près d'un tiers de la population, ont un besoin urgent d'assistance humanitaire et de protection.

- D'après les Nations-Unies, 5,6 millions d'Irakiens vivent sous le seuil de pauvreté et un peu plus de 4 millions sont dans une situation d'insécurité alimentaire.

- On compte plus de 4 millions de déplacés irakiens : 2,2 millions ont quitté leur pays et 2 millions se sont déplacés à l'intérieur du pays, fuyant les violences du conflit.

- Une crise sanitaire

Les personnes les plus vulnérables restent les femmes et les enfants : 28% des enfants irakiens souffrent de malnutrition et 10% de maladies chroniques. Les enfants irakiens ont davantage de risque de mourir avant l'âge de 5 ans que dans n'importe quel autre pays de la région. Les femmes souffrent de plus en plus d'injustice et d'intolérance de la part des milices armées et/ou religieuses. L'espérance de vie est aujourd'hui estimée à 59,2 ans pour les hommes et 62,3 ans pour les femmes.

Les structures de santé manquent de matériels et de personnels qualifiés. 90% des 180 hôpitaux à travers le pays manquent dramatiquement de ressources humaines. Dans la zone centre et ouest du pays, les structures sont attaquées et occupées par les forces militaires ou les milices armées. En raison de leur statut social, le personnel médical est régulièrement menacé, soumis à des pressions, voire kidnappé ou même tué. L'Association Médicale Iraquienne constate que 50% des 34 000 médecins enregistrés en 2003 ont quitté le pays. Depuis 2003, 2 000 ont été assassinés et 250 kidnappés (Ces chiffres sont issus du rapport "Rising to the Humanitarian Challenge in Iraq" d'Oxfam et NCCI, juillet 2007).

- Médecins du Monde est présent en Irak depuis 1991. Plusieurs missions chirurgicales ont eu lieu à Bagdad, Bassora et Mossoul. Outre le traitement des enfants malades, l'un des principaux objectifs visait la formation des soignants irakiens.Entre 2000 et 2004, MdM a également participé à la création d'unités de soins post-opératoires pédiatriques dans quatre hôpitaux de Bagdad, Bassora et Mossoul.

Pendant et après la guerre de 2003, les délégations internationales de Médecins du Monde Espagne, Grèce, Suisse, Canada, Portugal et France ont assuré un soutien d'urgence aux structures de santé irakienne.

En juin 2004, Médecins du Monde a pris la décision de fermer sa mission en Irak pour des raisons de sécurité. Mais l'aggravation des conditions de vie des Irakiens a conduit l'association à reprendre ses activités à travers de nouvelles modalités d'intervention.

Depuis 2006, Médecins du Monde intervient, depuis Amman et Erbil, en soutien aux équipes irakiennes et à des ONG locales, pour mettre en place des programmes visant à améliorer la prise en charge des soins d'urgence en Irak. Cette intervention couvre quatre axes principaux :

1 / La prise en charge médicale d'urgence des victimes du conflit

Les blessés arrivent la plupart du temps à l'hôpital sans avoir reçu de soins pré-hospitaliers, ce qui réduit leur chance de survie. Le niveau de connaissances aux premiers secours de la population irakienne est faible, y compris chez les paramédicaux. Ces derniers n'ont souvent jamais bénéficié d'une formation de premier niveau, indispensable dans la chaîne des urgences. Pour répondre à ce besoin en formation, Médecins du Monde a mis en place un programme visant à former la communauté aux premiers secours dans les gouvernorats de Najaf, Babylone, Kerbala puis de Ninewa, Kirkuk et Diyala.

2/ La santé maternelle

Par manque de personnels soignants, qui quittent le pays, et en raison de l'insécurité, qui rend dangereux les déplacements, surtout de nuit, les femmes enceintes sont confrontées à d'importants problèmes d'accès aux soins obstétriques. Elles sont alors contraintes d'accoucher à domicile en présence d'une sage-femme traditionnelle ou d'une infirmière dont les connaissances dans le domaine sont souvent rudimentaires.

Pour répondre au nombre insuffisant d'accoucheuses à domicile, Médecins du Monde mène un programme de formation à la pratique d'accouchement à domicile dans les gouvernorats de Diyala et de Kirkuk. L'objectif est d'assurer la formation de 150 accoucheuses à domicile, infirmières et accoucheuses traditionnelles, qui deviendront ensuite des relais vers leur communauté.

- 30% des femmes accouchent sans assistance en zones urbaines. C'est le cas pour 40% des femmes vivant en zones rurales.

- Environ le quart des médecins et des personnels de santé travaillant en centre de santé n'ont reçu aucune formation.

- Un grand nombre des centres de santé ne sont pas correctement équipés pour réaliser des accouchements. Des gants ne sont disponibles que dans 53% des centres, les antiseptiques dans 56%. La moitié des structures de référence accueillant les cas compliqués manque d'équipements de base et de personnels qualifiés.

3/ La santé infantile

MdM mène un programme visant à améliorer la prise en charge des urgences médico-chirurgicales des femmes et des enfants à Mossoul. Pour cela l'association organise des sessions de formations des équipes de chirurgie pédiatrique et obstétricale et assure des dotations en équipements médicaux, en consommables et en médicaments d'urgence.

4/ La santé mentale

Dans le climat de violence quotidienne et d'insécurité régnant en Irak, la souffrance psychique des Irakiens est réelle. 20% des patients consultant dans les centres des soins de santé primaire ont des problèmes psychiques. En réponse au stress, des addictions se développent très rapidement au sein de la population, notamment des jeunes. Le Valium® est devenu le médicament le plus consommé en Irak aujourd'hui.

Pour tenter de répondre à cette situation, MdM participe à la mise en place d'un programme visant à intégrer la santé mentale dans les soins de santé primaire à travers l'Irak.

- Il n'existe que deux hôpitaux psychiatriques en Irak, tous deux se trouvent à Bagdad et sont réservé aux adultes. Aucune structure psychologique ne permet de prendre en charge les enfants et les adolescents. Au total cela représente 5,4 lits pour 100 000 habitants.

- Depuis 2004, de nombreux psychiatres ont quitté le pays. On compte seulement 91 psychiatres, 7 médecins, 145 infirmiers, 16 psychologues et 25 travailleurs sociaux dans le champ de la santé mentale en Irak.

B/ Réfugies irakiens : 2,2 millions de personnes en errance

La guerre et la crise sanitaire ont provoqué le déplacement de près de 15% de la population irakienne, le plus grand mouvement de population depuis 1948. Depuis le début du conflit en 2003, plus de 2,2 millions de personnes ont quitté le pays (Source HCR) pour se réfugier dans les pays voisins, essentiellement la Syrie et la Jordanie.

En difficulté dans les pays limitrophes

95% des personnes ayant quitté l'Irak vivent toujours au Moyen-Orient et pour la grande majorité en Syrie, Jordanie, Liban, Egypte, Iran, Turquie et dans les Etats du Golfe.

- Syrie : 1,2 à 1,4 millions de réfugiés, soit 30 000 arrivées par mois, pour un pays qui compte 18 millions d'habitants.

- Jordanie : 500 000 à 750 000 réfugiés pour un pays qui compte 6 millions d'habitants.

- 80 000 en Egypte, 50 000 en Iran, 20 000 au Liban et plus de 200 000 dans les pays du Golfe.

Ces millions de réfugiés irakiens commencent cependant à déstabiliser l'équilibre des services sociaux de ces pays : systèmes scolaires, services médicaux, structures sanitaires, logements ont atteint leurs limites. Les pays limitrophes de l'Irak commencent à fermer leurs frontières aux exilés irakiens. La responsabilité d'accueillir les réfugiés irakiens ne doit pas reposer uniquement sur les pays limitrophes.

Rejetés par l'Europe

Les Irakiens sont actuellement les premiers demandeurs d'asile en Europe. Selon l'UNHCR, les Irakiens figurent en tête des 40 nationalités recensées demandant l'asile en Europe avec 20 000 demandes en 2006 et plus de 20 400 demandes enregistrées au 1er décembre 2007. La Suède s'est montrée la plus ouverte et a accordé le statut de réfugié à 8 951 irakiens en 2006 (contre 3 000 en 2005). Pourtant, depuis juillet 2007 les Irakiens déposant une demande d'asile en Suède doivent prouver qu'ils étaient personnellement menacés dans leur pays pour ne pas y être renvoyés.

A titre de comparaison, la France a accueilli, en 2006, 115 demandeurs d'asile d'Irakiens, ce qui représente 0,5 % de la demande irakienne en Europe et 0,01 % des 700 000 personnes qui ont fui le pays en 2007.

Quelle protection accordée par les Etats européens aux réfugiés irakiens ?

En 2006, la majorité des demandes d'asile d'Irakiens déposée en Europe s'est portée vers 4 pays : la Suède, l'Allemagne, la Grèce et les Pays-Bas. La diversité des pratiques dans le traitement des demandeurs d'asile irakiens en Europe a amené le Parlement Européen à recommander la suspension du transfert des demandeurs d'asile irakiens vers les Etats membres qui « n'examinent pas comme il se doit les demandes de protection ».

La France a seulement reçu 140 demandes d'asiles d'irakiens en 2007, mais l'examen de ces demandes avait été suspendu depuis le début du conflit.

C / Les demandes de Médecins du Monde

1- Permettre l'accueil des réfugiés irakiens au niveau international

- Ne pas renvoyer de force les Irakiens dans leur pays

Dans sa résolution du 15 février 2007, le Parlement européen a rappelé que les Etats étaient tenus de ne pas renvoyer les réfugiés vers des pays où ils pourraient craindre la persécution. Dans une nouvelle résolution du 12 juillet 2007, il demande aux Etats membres de suspendre temporairement tous ces retours à destination de l'Irak. Les renvois forcés précipitent les personnes dans des situations précaires et dangereuses.

- Accorder un titre de séjour aux Irakiens dans l'impossibilité d'un retour

Le Conseil européen pour les réfugiés et les exilés (ECRE) a demandé aux Etats membres de ne pas expulser d'Irakiens à destination de leur pays d'origine tant que des mécanismes efficaces garantissant le respect des Droits de l'Homme n'auront pas été mis en place et tant que la situation générale du pays ne permettra pas la pleine réintégration de ceux qui ont déjà été reconduits.

- Faciliter l'accueil des Irakiens pour soulager les pays limitrophes de l'Irak

L'ampleur de la crise n'a jusqu'à présent pas incité la communauté internationale à renforcer ses programmes d'accueil en faveur des demandeurs d'asile irakiens. Le Parlement Européen, ECRE et Amnesty International ont demandé aux Etats membres de montrer leur solidarité avec les pays de la région en accueillant sur leur territoire des réfugiés irakiens.

Les Etats-Unis ont mis sur pied un programme de réinstallation qui concernera seulement 7 000 personnes en donnant la priorité aux personnes menacées du fait de leur lien avec les forces américaines. En Europe, seules la Norvège, la Suède et la Finlande ont annoncé leur intention d'accueillir des réfugiés irakiens depuis la Syrie, la Jordanie, le Liban, l'Egypte et la Turquie.

Au 1er décembre 2007, selon l'UNHCR, 4 575 réfugiés irakiens ont bénéficié de mesures de réinstallation dont 2 376 aux Etats-Unis, 747 au Canada, 745 en Suède, 456 en Australie et 122 au Pays-Bas. Près de 80 000 à 100 000 réfugiés irakiens, vivant au Moyen-Orient en situation de grande vulnérabilité, restent en attente. Pour 2008, l'objectif de l'UNHCR est de permettre l'accueil de 25 000 réfugiés.

2- Répondre à la crise humanitaire que vivent les Irakiens au quotidien dans leur pays

Les pays donateurs et, particulièrement ceux ne prenant pas part au conflit, doivent relancer l'aide humanitaire d'urgence en faveur des Irakiens restés en Irak. Ces derniers sont piégés dans un pays en proie à un chaos quotidien. La plupart ne peuvent pas quitter le pays par manque de ressources et du fait de la fermeture progressive des pays limitrophes. Ces populations ont un besoin urgent d'aide humanitaire.

Contacts presse

Florence Priolet / Céline Morel
01 44 92 14 31/32 - 06 09 17 35 59
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Pour aller plus loin, visionnez l'interview du coordinateur de Médecins du Monde sur le terrain : www.medecinsdumonde.org