Informing humanitarians worldwide 24/7 — a service provided by UN OCHA

Guinea-Bissau

Guinée Bissau : Crise alimentaire dans une terre d'abondance

Attachments

BEDANDA, 23 février 2007 (IRIN)

  • En parcourant en voiture les exploitations agricoles, forêts, et zones de mangroves luxuriantes au sud de la ville côtière de Buba, en Guinée Bissau, on a de la peine à croire que les quelque 100 000 âmes qui vivent sur ces terres et les exploitent ont traversé une crise alimentaire l'année dernière.

En réalité, le taux de malnutrition est bien supérieur au « seuil d'urgence », défini par l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS), et les agences humanitaires ont envoyé plus de 1 000 tonnes de nourriture en 2006.

Et bien que la crise soit aujourd'hui passée, la prochaine crise alimentaire pourrait prendre des proportions bien plus dramatiques.

« Une catastrophe pourrait survenir à tout moment », a déclaré le représentant du Programme Alimentaire Mondial (PAM), José Pita-Grós. « On ne s'attaque pas aux causes du problème, alors que la population est de plus en plus exposée. »

La crise de 2006 a surtout frappé les régions de Quinara et Tombali considérées généralement comme les greniers de la Guinée Bissau. Pendant des générations, les populations de ces régions ont cultivé diverses variétés de riz locales qui, d'après les scientifiques, existaient bien avant l'arrivée des Européens.

Les agronomistes affirment que les populations de ces régions ont mis au point des techniques de culture très élaborées. « Le sud de la Guinée Bissau peut être considéré à la fois comme un réservoir de la diversité génétique du riz et un centre d'acquisition et d'échanges de plasma germinatif pour les agriculteurs », selon l'ingénieur agronome Marina Padrão Temudo de l' Institute of Tropical Scientific Research, de Lisbonne.

Le sol ainsi que les climats sont également propices à la culture de la noix de cajou, dont la Guinée Bissau est devenue le sixième producteur mondial, ces dernières années. La noix de cajou représente 85 pour cent des recettes d'exportation du pays.

Mieux, presque tous les Bissau guinéens en profitent puisque chaque famille possède des champs d'anacardiers.

De juillet à octobre, avant la récolte du nouveau riz, les populations vendent généralement leur production de noix de cajou à des négociants indiens. Pendant des années, les négociants achetaient le kilo de noix de cajou à 250 CFA (environ 50 cents américains), ce qui représente environ le même prix qu'un kilo de riz importé d'Asie, et les populations locales trouvaient leur compte en s'adonnant à ce genre de troc.

« Nous aimons bien le riz, mais il est plus facile de faire pousser des noix de cajou », a expliqué Fatou Nasamha, une femme possédant une plantation en bordure de route, près du village de Bedanda. « Il suffit juste de les cueillir de l'arbre », a-t-elle ajouté.

Que s'est-il donc passé ?

Les experts relèvent deux causes majeures :

Tout d'abord, en septembre 2005, les marées hautes ont déversée de l'eau de mer par-dessus les systèmes traditionnels de digues, inondant ainsi les rizières situées autour des mangroves et détruisant plusieurs milliers de tonnes de riz.

A cette époque, les populations avaient encore de quoi se nourrir, mais les inondations avaient détruit les semences de riz que les paysans comptaient utiliser pour la prochaine saison, a affirmé Rui Jorge Fonseca, responsable de programme auprès de l'Organisation des Nations-Unies pour l'Alimentation et l'Agriculture (FAO), en Guinée Bissau.

« Le pire, c'est qu'il n'y avait aucun système d'alerte ; personne n'a vu venir la crise », a-t-il ajouté.

Le gouvernement s'est contenté de demander des semences à la FAO en mai 2006, au moment où celles-ci auraient dû être déjà plantées, a poursuivi M. Fonseca.

La FAO a aussitôt acheminé 400 tonnes de semences, mais celles-ci ne sont pas arrivées avant le mois d'août, période correspondance à la saison des pluies. « Une grande partie de ces semences a été reçue trop tard », a indiqué M. Fonseca. « Une variété de semences de riz a pourri du fait de l'humidité et les paysans n'ont pas pu planter les semis ».

Paulo Sambu, originaire de Buba, une ville du sud, a expliqué au correspondant d'IRIN qu'il a tout abandonné et a fini par consommer les semences. « Il n'y avait pas d'autre recours », a-t-il ajouté.

Crise alimentaire sur ordonnance

En même temps une autre crise couvait, cette fois-ci, autour de la commercialisation des noix de cajou.

Et cette crise n'était pas liée aux intempéries. En fait, la récolte de noix de cajou de 2006 était même une des meilleures que la Guinée Bissau ait jamais connue.

Mais l'année 2006 a été une année électorale et le gouvernement a voulu faire plaisir aux électeurs. Il a donc décidé que les paysans pouvaient vendre le kilo de la noix de cajou à 350 francs CFA, contre 250 francs CFA, les années précédentes, une augmentation que les négociants indiens ont refusé.

Le gouvernement a alors conseillé aux paysans de maintenir ce prix, convaincu que les Indiens accepteront le prix proposé. Mais les négociants ont refusé l'offre, préférant acheter leurs noix sur d'autres marchés.

Du coup, le riz s'est fait de plus en rare. Le prix de la noix de cajou a chuté de manière vertigineuse au dessous de la barre des 50 francs CFA le kilogramme.

Les paysans ne pouvant vendre leurs noix de cajou à ce prix, des dizaines de milliers de tonnes se sont mises à pourrir.

Les populations étaient désespérées. « Nous avons alors inventé une sorte de soupe à base de noix de cajou et de manioc, mais personne n'en voulait », a expliqué le chef du village de Bedanda, Nhinna na N'tchama. « Alors, pour nous procurer du riz, nous étions obligés de vendre nos outils, nos vêtements et tous nos animaux domestiques ».

Et le prix du riz n'a cessé d'augmenter.

En juillet, la FAO a publié un rapport indiquant que « la majorité » de la population était confrontée à une insécurité alimentaire chronique.

En août, la malnutrition a atteint un taux de 10,9 pour cent dans cinq des neuf régions du pays, selon une étude du PAM. Or, à partir de dix pour cent et au-dessus, on considère qu'il s'agit de cas de malnutrition « aiguë ».

Le PAM a ouvert des centres nutritionnels, en collaboration avec divers partenaires, et fait livrer quelque 1 000 tonnes de nourriture.

« C'était un véritable cauchemar logistique », a expliqué Pita-Gros, du PAM. « La saison des pluies venait de s'installer et nos gros camions de 30 tonnes s'enlisaient. Même les plus petits camions n'arrivaient pas à accéder à certaines zones. Nous étions obligés d'assurer une partie de la distribution en pirogue ».

« Nous avons tous été pris de court », a-t-il ajouté. « Nous ne nous attendions pas du tout à ce genre de problèmes dans un pays qui dispose d'autant de ressources naturelles ».

Les solutions

Les responsables de cette situation ne sont jamais les mêmes, selon les interlocuteurs. Pour la coopération internationale, c'est la politique du gouvernement en matière de fixation du prix de la noix de cajou qui est à l'origine de cette crise. Pour le gouvernement et les organisations humanitaires locales, la crise aurait pu être évitée si les organisations internationales avaient réagi de manière plus rapide et efficace.

Mais tout le monde est d'avis que ce problème ne peut être résolu que si les paysans diversifient leurs productions et que les populations varient leur alimentation.

« La Guinée Bissau peut produire d'énormes quantités de patate douce et de manioc, mais ici, les gens n'aiment pas cela », a précisé M. Fonseca.

Le fait de dépendre d'une seule culture de rente (la noix de cajou), est assimilable au jeu de la roulette russe, a-t-il déclaré. « Le cours mondial pourrait chuter ou alors les négociants pourraient décider d'aller acheter ailleurs et cela suffirait à créer une catastrophe humanitaire », a-t-il précisé.

Les négociants indiens ont fait savoir qu'ils pourraient ne pas retourner en Guinée Bissau, car le gouvernement a créé une nouvelle réglementation les obligeant à acheter les noix de cajou auprès d'intermédiaires locaux, plutôt que directement des paysans.

« J'espère seulement que l'expérience que les populations ont vécue l'année dernière leur servira de leçon pour l'avenir », a souligné M. Pita-Gros.

[Cet article ne reflète pas nécessairement les vues des Nations Unies]